La présidence française du G7 : De la stratégie numérique à la stratégie pour l'éducation
Liam Bekirsky, Groupe de recherche sur le G7
16 mai 2019
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Alors que la France aspire à mener le G7 dans la lutte contre la fracture numérique, elle doit entreprendre de sérieuses réformes structurelles afin d'assurer la compétitivité de ses citoyens dans un marché du travail de plus en plus numérisé. Quels pas la France a-t-elle pris pour s'attaquer à cette fracture - et s'avéreront-ils suffisants ?
Le 8 juillet 2013, la France a introduit la Loi d'orientation et de programmation pour la refondation de l'école de la République qui prend des mesures pour remédier le déséquilibre technologique entre les écoles en termes d'outils et de compétences, notamment par l'article 38 qui stipule que la formation à l'utilisation des outils et des ressources numériques devrait être enseignée dans les écoles, ainsi que par l'article 16 qui annonce la création du service public pour l'éducation numérique. Plus récemment, et s'appuyant sur des réformes antérieures, la France a adopté le Rapport de la mission d'information de l'Assemblée nationale sur l'école dans la société du numérique le 13 octobre 2018. Le rapport examine la situation de l'intégration du numérique dans les écoles et fait 25 propositions pour mieux guider la transition vers la numérisation. Néanmoins, le rapport continue à mettre en lumière le retard accumulé dans l'évolution de la relation entre le numérique et l'éducation.
D'autres pays du G7 disposent de plans ambitieux d'éducation numérique. S'alignant sur le Digital Agenda for Europe de l'Union européenne, le Ministère fédéral de l'Économie, des Affaires économiques et de l'Énergie de l'Allemagne s'est engagé en faveur d'une Stratégie d'apprentissage numérique dans sa Digital Strategy 2025adoptée en 2016. La stratégie s'appuie sur l'accès Internet universel de base dans leurs écoles pour faire de l'Allemagne un leader de l'infrastructure numérique dans le secteur de l'éducation et pour fournir à tous les étudiants des connaissances de base en sciences de l'information et en informatique. Les Etats-Unis ont présenté un National Education Technology Plan tout aussi ambitieux en 2010, mis à jour en 2016 et en 2017, et au Canada, le rapport Digital Learning in Ontario Schools: The 'New Normal' de People for Education, publié en 2014, a confirmé qu'une grande partie des enseignants de l'Ontario intégrait activement les technologies de l'information et de la communication (TIC) dans leurs salles de classe.
L'UNESCO a identifié trois piliers pour guider la formation et la préparation des enseignants aux TIC dans les salles de classe dans son Référentiel de compétences TIC pour les enseignants de 2015 : l'alphabétisation technologique, l'approfondissement des connaissances et la création de connaissances. Certains signes indiquent que le gouvernement Macron est déterminé à s'attaquer aux problèmes de la fracture numérique mis en évidence par les études et les rapports français. Dans le cadre du système éducatif français centralisé, le ministère de l'Éducation a créé un laboratoire d'innovation en éducation appelé 110 Bis en juin 2018. Le laboratoire de l'innovation de l'éducation nationale est un espace ouvert au ministère conçu pour offrir aux acteurs du secteur de l'éducation la possibilité de développer en collaboration des solutions pour répondre aux défis du système éducatif. Le lab accueille actuellement ses premiers projets.
Le gouvernement Macron a également publié en 2018 un rapport sur l'intelligence artificielle, qui comprenait de nombreuses recommandations visant à moderniser les politiques en matière d'éducation et recommandait notamment d'aller au-delà d'une approche « adéquationniste » en matière de conception des politiques publiques. Selon le rapport, la formation ne peut plus préparer des carrières prédéterminées ; elle doit préparer l'adaptabilité et l'apprentissage de compétences transversales liées à la créativité. Le numérique peut s'assurer que ces innovations sont bien intégrées à la pédagogie.
Le ministère de l'Education nationale a créé le Certificat informatique et internet niveau 2 – enseignant (C2i2e) qui atteste que les enseignants ayant suivi le cours possèdent les compétences nécessaires pour utiliser les TIC en classe. Bien que le certificat ne soit pas une condition nécessaire pour valider les licences d'enseignement, le ministère de l'Education s'attend à ce que tous les candidats le reçoivent au cours de leurs trois premières années d'enseignement, selon l'OCDE.
Le Ministère a également annoncé la création et le déploiement de nouvelles ressources technologiques pour soutenir l'apprentissage, notamment en français et en mathématiques, en utilisant l'intelligence artificielle. Néanmoins, les priorités du Ministère en matière d'intégration des TIC semblent privilégier l'efficacité pédagogique, par opposition à la transformation de l'approche pédagogique jugée nécessaire par le guide de l'UNESCO pour la phase de création de connaissances. La technologie ouverte n'est guère mentionnée dans la stratégie de l'éducation numérique en France, pas plus que la participation des étudiants, voire des enseignants, à la création de connaissances. Quoique l'innovation de la technologie et de l'État soit mentionnée à quelques reprises, la stratégie ne fait nullement référence à la responsabilisation des enseignants pour aller au-delà de l'alphabétisation technologique de base.
Les TIC ont le potentiel de transformer le système éducatif. Elles peuvent aider à répondre aux besoins de tous les élèves, en particulier ceux en difficulté, et elles peuvent offrir de nouvelles opportunités de répondre aux besoins régionaux non résolus. Elles permettent aux enseignants de rendre la pédagogie et l'apprentissage plus efficaces et innovants, tout en permettant aux enseignants et aux élèves de développer leurs compétences disciplinaires, globales et transversales. Mais au-delà de ces questions d'éducation, le moteur principal de la réforme reste l'économie : assurer la compétitivité de la France dans un marché du travail de plus en plus numérisé en assurant la compétence numérique de sa main-d'œvre. Sans réformes réussies, la France ne pourra pas être un leader dans le monde de la technologie.
Alors que le système éducatif français progresse en ce qui concerne l'intégration des TIC dans les salles de classe, il n'est pas clair que le ministère de l'Éducation soit prêt pour le changement de paradigme vers une approche basée sur les TIC comme outil de création de connaissances préconisée par l'UNESCO et l'OCDE. Loin de diriger le G7 en matière de stratégie et de développement numériques comme le souhaite la France durant sa présidence du G7, elle rattrape actuellement son retard par rapport à d'autres pays du G7 comme l'Allemagne, le Canada et le Royaume-Uni, qui ont tous élaboré des programmes d'éducation et de formation numériques complets et ambitieux. Néanmoins, le défi le plus difficile à relever pour l'ambition de la France d'être un leader numérique du G7 n'est pas la longueur d'avance de ses concurrents. Comme le nom du projet éducatif français actuel, l'École de la confiance, le suggère, la plus grande bataille que le gouvernement ait à affronter est peut-être de remédier à son déficit de confiance du public.
Liam Bekirsky est spécialiste des politiques publiques de l'éducation et du numérique et étudiant en master à Sciences Po dans la spécialisation New and Digital Technologies and Public Policy. Il est également titulaire d'une license d'enseignement de l'Université York à Toronto.
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